Rogers Communications Inc. : Bataille corporative et familiale

Par Olivier Gélinas, B.A.A., M.Sc., Analyste Financier, Contributeur pour DayTrader Canada

 

Si vous avez suivi les nouvelles dernièrement, il a été certainement porté à votre attention qu’il y a de la bisbille chez Rogers Communications Inc. (TSE : RCI.B). Ce qui avait alors commencé comme une intéressante distraction pour de nombreux analystes tourne de plus en plus vers des enjeux inquiétants. Alors que certains qualifient la situation meilleure qu’un feuilleton dramatique sur HBO, d’autres sonnent l’alarme de sous-performance pour le titre. Il est vrai que cette distraction a été accompagnée d’une dégringolade du titre de près de 5%, un recul surplombé de doutes.

 

Rogers Communications (RCI) a commencé à apparaître dans les tabloïdes suite aux allégations de M. Edward Rogers, fils de Ted Rogers, fondateur du géant de la télécommunication, qu’il souhaitait remplacer le PDG actuel Joe Natale suite à de mauvaises performances de la compagnie. Cette démarche n’aurait pas plus au Conseil d’Administration, qui inclut à la fois sœurs et mère de M. Rogers, et n’associait pas nécessairement la sous-performance de la compagnie à M. Natale. L’Administration convient que les derniers temps n’ont pas été faciles pour la compagnie, mais qu’ils avaient pleinement confiance au management actuel et qu’il n’était pas le temps d’incruster des doutes où il n’y a pas lieu d’être. Revirement de situation, le CA remplace M. Rogers siégeant comme président du Conseil, par John MacDonald, un conseiller indépendant approuvant M. Natale à la tête de RCI.

 

Suite à cette annonce, Edward Rogers conserve non seulement le blâme sur M. Natale, il y inclut maintenant 5 membres de l’Administration et prévoit les remplacer également à travers le Rogers Control Trust. M. Rogers détient un contrôle très serré sur cette fiducie, et les médias reconnaissent que cette démarche a bien des chances de réussir.

 

Un des problèmes dans cette situation bien précise est l’utilisation d’une structure à « doubles actions », où l’entreprise émet une classe d’action différente selon le contrôle, pouvoir et droit de ces classes. Plusieurs grandes entités utilisent ce genre d’actionnariat, dont Canadian Tire Corp. (TSE : CTC.A) et Bombardier (TSE : BBD.B), où un individu ou groupe unique se voit donner une proportion énorme des votes par rapport aux autres investisseurs. Dans le cas de Rogers, l’actionnaire majoritaire est le Rogers Control Trust, société où Edward Rogers siège et détient 97.5% des voix de catégorie A. Les enjeux derrière cette structure sont mis sous les projecteurs et provoqueront peut-être certains changements au niveau corporatif dans le futur.

 

De retour au programme original. L’une des sœurs d’Edward, Martha Rogers, pris d’assaut les réseaux sociaux la semaine dernière afin de déplorer les actes de son propre frère, et le targue de distraire la haute gestion au détriment des actionnaires. De son côté, Edward Rogers effectue un remaniement de CA à l’aide de la fiducie en contrôle et réclame la direction de RCI. Ce processus n’est évidemment pas chose reconnue au sein du CA actuel de la corporation, poussant M. Rogers à avoir appel à la Cour Suprême de la Colombie-Britannique pour reconnaître sa légitimité. Les résultats de ces démarches légales sont attendus cette semaine.

 

Cette nébuleuse administration demeura jusqu’à l’audience prévue lundi. M. MacDonald fait cependant le point que la gouvernance d’entreprise est un élément clé à son succès. La majorité occupée par M. Rogers sur la fiducie n’en fait pas nécessairement une bonne gouvernance pour RCI, où il pourrait faire ce que bon lui semble sous aucun prétexte raisonnable. L’historique comportemental de M. Rogers revient à la surface, où il a été noté en 2016 son parcours afin d’éviter le CA lorsqu’il a évincé le PDG de l’époque, Guy Laurence. L’un des plus récents administrateurs indépendants du CA, John Clappison, a préféré quitter ses fonctions suite à de multiples tentatives par M. Rogers de contourner les politiques approuvées par le Conseil. M. Clappison a depuis été réélu sur le CA, mais est maintenant dans la mire de destitution d’Edward Rogers.

 

Il est plutôt rare aujourd’hui de voir ce genre de « lavage de linge sale » en public pour les grandes corporations. Les répercussions sur le titre boursier et risque de réputation sont souvent mis de l’avant avant de rendre publiques ces situations.  Les vues des analystes sont toutefois partagées sur la situation. Alors que Rogers devrait plutôt s’afférer à compléter leur plus grande transaction d’acquisition sur Shaw Communications (TSE : SJR.B), annoncée en mars dernier, la direction est aujourd’hui distraite par une guerre de contrôle. La transaction de 26 milliards ne semble pourtant pas être en péril selon les dirigeants de Shaw, qui préféraient ne pas commenter la situation, la qualifiant d’une querelle familiale avant tout. La CRTC (Conseil de la Radiodiffusion et des Télécommunications), a exprimé son désir de repousser les démarches légales en vue de concrétiser l’acquisition.

 

Le titre de Rogers Communications a sous-performé face à ses compétiteurs depuis le décès du fondateur Ted Rogers en 2008. Quoique la situation soit divertissante, les analystes n’ont pas manqué de revoir la cote du titre à la baisse. Les dommages collatéraux sont prévus sur 2 fronts, soit une inactivité ou réticence à agir du Conseil d’Administration suivant cette saga largement médiatisée ainsi qu’une route longue et pénible sur la reconstruction de la confiance des investisseurs envers l’entreprise. À titre d’exemple, M. Jerome Dubreuil, analyste chez Desjardins Marchés des Capitaux aura classé le titre comme Hold et coupé le prix cible des 12 prochains mois de 5$ l’action, pour atteindre 68$.

 

Malgré le niveau d’activité élevé des derniers jours, les actionnaires devraient s’attendre à encore quelques jours de délibération et querelle avant de voir un climat plus calme se rétablir. La performance du titre en reste toutefois négative pour les détenteurs d’actions. D’autant plus, jusqu’à l’acceptation des autorités règlementaires sur la transaction de Shaw, tout est encore possible, une contamination qui ferait sans l’ombre d’un doute, objet de révision légale.

 

Sources : 

https://globalnews.ca/news/8323258/rogers-communications-family-drama-explained/

https://www.cbc.ca/news/business/rogers-dual-class-shares-1.6225405

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1834234/rogers-tribunal-edward-rogers-chicane-famille

https://www.cbc.ca/news/business/rogers-natale-1.6219230

https://www.theglobeandmail.com/business/article-rogers-john-macdonald-made-offer-to-step-down-as-telecoms-board-chair/

https://www.bnnbloomberg.ca/disruptive-force-reaction-pours-in-to-edward-rogers-explosive-claims-1.1672974

 

L’auteur de ce billet déclare ne détenir aucune position dans les titres mentionnés ni avoir l’intention d’initier de positions dans les 72 prochaines heures. Cet article est une opinion et ne doit en aucun temps être considéré comme un conseil en investissement.

Le contenu de ce billet, les données financières et économiques incluant les cotes boursières ainsi que toutes analyses et interprétations de celles-ci sont fournies à titre d’information seulement et en aucun cas ne doivent être considérées comme étant une recommandation ou un conseil d’acheter, de vendre, de vendre à découvert ou poser tout autre acte envers toute valeur mobilière, tout instrument dérivé ou tout actif ou classe d’actif quelconque.

L’investissement autonome actif devrait être considéré comme une activité de nature spéculative qui peut comporter des risques importants pouvant entraîner des pertes significatives en capital. Un investisseur autonome actif se doit d’avoir une compréhension de sa tolérance au risque et de ses objectifs d’investissement avant de considérer l’investissement autonome actif comme activité.

DayTrader Canada et les membres de son équipe ainsi que les collaborateurs externes ne peuvent donner aucune garantie ni assurance que les transactions boursières effectuées par ses lecteurs ou clients seront profitables. De plus, les membres de l’équipe de DayTrader Canada, ses formateurs et les collaborateurs externes, ne donneront, en aucun cas durant des formations ou toutes autres activités, des recommandations d’achat ou de vente sur des instruments financiers en particulier.

DayTrader Canada, ses administrateurs, dirigeants, employés et mandataires ne seront aucunement responsables des dommages, pertes ou frais encourus à la suite de la mise en application des notions apprises dans ses formations et/ou de l’utilisation de ses services.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *