Le triangle des Bermudes version immobilier

Un ingrédient de plus a été ajouté à la concoction nébuleuse de l’économie américaine la semaine dernière : la décote des États-Unis par l’agence de crédit Fitch. Déjà que la recette fastidieuse de la Fed peinait à avoir les effets escomptés sur son économie, le mélange a été jugé trop salé et nécessitait désormais de revoir les mesures. Cette décote a précipité les taux hypothécaires à la hausse, encore une fois, sur un marché immobilier qui ne sait pas non plus où donner tête.

Comme vous l’aurez probablement lu ailleurs, les États-Unis, de par leur dette souveraine ainsi que leurs deux émetteurs d’envergure, Freddie Mac et Fannie Mae, ont reçu une rétrogradation de leur cote de crédit. La rétrogradation de AAA à AA+, soit la même que le Canada, en a pris plusieurs de court et repose notamment sur les derniers grands évènements économiques de la puissance mondiale. Le relèvement (à plusieurs reprises) du plafond de la dette, les solutions in extremis, les différends au niveau des mesures fiscales, bref, chez Fitch, on y voyait une détérioration moyen terme justifiant ce changement.

Cette nouvelle a évidemment fait plonger les marchés lors de l’annonce et avec raison. Un autre impact notable de ce mouvement de cote de crédit à la baisse s’est fait sentir sur l’immobilier, plus précisément, les taux hypothécaires. Alors que ceux-ci avoisinaient le 6.50%, ils ont grimpé à tout près de 7% avec une moyenne de 6.90% jeudi dernier. Le rythme soutenu de l’économie américaine justifie encore l’usage de hausses de taux d’intérêt, d’autant plus que l’inflation n’est pas encore tout à fait sous contrôle. La cible de 2% est bel et bien dans la mire de la Fed à l’heure actuelle, toutefois l’impact de ces hausses n’a plus la même portée et cela devient problématique.

La lecture de l’indice inflationniste ce jeudi sera un point déterminant quant à la prochaine décision sur les taux d’intérêt.

Source: St-Louis Fed – 30-year fixed rate mortgage average, 7 août 2023

Les taux d’intérêt sont et demeureront une embûche de taille pour les acheteurs du secteur immobilier. Il est plutôt facile de voir pourquoi avec un simple calcul, sur deux fenêtres de temps différentes. Dans les deux cas, une maison de 500 000$ avec une mise de fonds de 5%, soit 25 000$. Au début de 2021, il n’était pas rare de voir un taux de 2.50%, signifiant donc un versement hypothécaire mensuel de 2 213$. En prenant maintenant les taux actuels, soit 6.90%, le versement, pour la même situation, passe à 3 430$, une augmentation de 55%. Cette situation illustre quelque peu la misère à laquelle les détenteurs de taux variables font face. Toutefois, les États-Unis possèdent des termes que le Canada n’offre pas : des termes fixes 30 ans.

Vraisemblablement, le terme le plus populaire au Canada est celui de 5 ans, qu’il soit fixe ou variable. Il existe cependant des termes de 10 ans, soit le terme le plus long disponible. Les États-Unis offrent tout de même des termes fixes de 30 ans et cette situation spécifique présente de nouveaux enjeux aujourd’hui. Les Américains ayant acheté une propriété entre 2020 et 2022 ont bénéficié de taux historiquement bas, mais limitent (voire anéanti) cependant la mobilité des individus. Après tout, à quoi bon laisser derrière un taux de 2% alors que ceux du jour sont plus du triple. Leur pouvoir d’achat se voyant réduit, ils préféreront demeurer dans leur propriété actuelle.

La stagnation des ménages présente, elle aussi, un nouveau problème au niveau de l’immobilier : l’offre manque pour les acheteurs présents sur le marché. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les augmentations de la Fed n’ont pas les effets escomptés plus rapidement. L’inventaire immobilier est d’une telle faiblesse qu’il exerce une pression constante sur le prix de l’immobilier « restant » sur le marché. Les nouvelles constructions peuvent également capitaliser sur cet effet, puisque des acheteurs seront davantage enclins à payer le gros prix pour une demeure neuve plutôt que le gros prix pour une demeure vieille de 45 ans présentant une longue liste de réparations ou rénovations. Le hic, c’est que les nouvelles demeurent n’arrivent pas non plus à remplir l’écart entre l’offre et la demande sur le marché immobilier.

Cette situation est surtout génératrice de volatilité et d’incompréhension selon un économiste chez Zillow Group (Nasdaq :Z). Orphe Divounguy, économiste senior, mentionne que l’inventaire de propriété disponible sur le marché demeurera faible tant que le marché de l’emploi conservera sa vigueur.

D’ailleurs, la compagnie américaine se spécialise dans l’affichage de propriétés à vendre en ligne et aide à rapprocher vendeur et acheteur sur leurs diverses plateformes digitales. Avec des prix aussi élevés et un engouement aussi vigoureux, le titre de Zillow performe très bien. Le cours s’est apprécié de 66% depuis le début de l’année, s’établissant à 56$ en début de semaine.

Source : Tradingview – Cours du titre Nasdaq :Z, Cumulatif annuel, 7 août 2023

Le segment résidentiel a généré 380 millions en revenus lors du dernier trimestre venant à peine d’être dévoilé aux investisseurs. Ce niveau de revenu correspond à une diminution de 3% par rapport à la même période l’an dernier, alors que le marché immobilier a reculé de 22% en termes de volume de transaction. Les prédictions de la direction pointent vers des revenus entre 458 et 486 millions lors du 3e trimestre, un indice que le marché immobilier n’a pas fini sa course effrénée.

Les acheteurs se retrouvent donc au milieu d’une mixture d’éléments qui jouent vraisemblablement contre eux. La Fed pourrait continuer sa lancée de progression de taux, mais l’effet pourrait bien se faire attendre, jusqu’à un point inconfortable où certains ménages, à taux variable, soient dans l’obligation de vendre rapidement, au profit d’acheteurs impatients.

Par Olivier Gélinas, Analyste Financier, Contributeur pour DayTrader Canada

Sources:

https://www.usatoday.com/story/opinion/columnist/2023/08/07/biden-economy-national-debt-result-us-credit-rating-downgrade/70520159007/

https://www.cnn.com/2023/08/03/homes/mortgage-rate-august-3/index.html

https://www.bnnbloomberg.ca/zillow-defies-sluggish-us-housing-market-to-beat-earnings-expectations-1.1954146

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