Investisseurs actifs: vos gains seraient-ils imposables même dans un REER?

Par Patric Saint-Onge, CA, LL.M.Fisc., TEP

M. Patric Saint-Onge compte quinze (15) années d’expérience en fiscalité acquises auprès de grandes firmes comptables dans le cadre de mandat de réorganisation d’entreprise, de planifications fiscales et de révision de dossiers de conformité.

 

 

 

 

Les autorités fiscales ont énoncé dans de nombreux documents que le revenu tiré de la spéculation boursière ne pourrait pas bénéficier de l’exonération d’impôt pour les comptes enregistrés, qu’il s’agisse de REER, de FERR ou du CELI.

Exemption

En effet, le paragraphe 146(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu édicte que le revenu d’entreprise réalisé dans un compte REER sera assujetti à un impôt sur le revenu (« LIR ») (146.3(3) LIR pour les FERR). Ce paragraphe de la loi est nécessaire pour assurer l’équité entre les contribuables. La législation fiscale n’a pas pour but d’empêcher les contribuables de réaliser des profits sur les transactions, le revenu d’entreprise devant être réalisé à l’extérieur d’un compte enregistré.

Exploiter une entreprise

Les spéculateurs boursiers peinent à comprendre que leurs transactions pourraient générer un revenu d’entreprise. En effet, ils n’ont ni pignon sur rue ni employés et ils ne sont pas inscrits auprès autorités gouvernementales. Les précédentes considérations ne sont toutefois pas nécessaires pour qu’un revenu d’entreprise soit en cause, car la jurisprudence à énoncé à de nombreuses reprises que des opérations de spéculation provoquent un revenu d’entreprise aux fins fiscales. En effet, un spéculateur agit comme un courtier en valeur et, par conséquent, les opérations réalisées génèrent un revenu d’entreprise.

Facteurs

Nous convenons que tous les contribuables acquièrent des titres boursiers dans l’esprit de réaliser un profit. L’intention du contribuable au moment d’acheter un titre déterminera si un revenu d’entreprise ou une transaction de nature capitale est en cause. Si le contribuable avait l’intention de revendre rapidement un titre sans considération pour l’encaissement d’un dividende, les probabilités sont élevées qu’un revenu d’entreprise ait été réalisé.

De nombreux facteurs sont analysés pour déterminer si un gain en capital ou un revenu d’entreprise est en cause, soit :

  • La répétition des transactions et l’historique des transactions;
  • La période de détention des titres;
  • Le temps consacré aux opérations;
  • L’achat sur marge des titres
  • L’achat de titres à découvert; et
  • les connaissances du contribuable.

Le bulletin d’interprétation IT-479R [1] discute de précédents facteurs et de l’interprétation des autorités fiscales quant aux revenus générés sur des valeurs mobilières. Ce bulletin est en cours de réécriture et il a été archivé dernièrement. Toutefois, il est de notre compréhension que les éléments discutés sont toujours applicables.

L’affaire Prochuk [2]

Il y a quelques mois, le jugement Prochuk a été publié. Celui-ci a eu pour effet de contredire la position des autorités fiscales et de donner un nouvel éclairage sur les transactions pouvant être réalisées au sein d’un REER ou d’un FERR.

Pour permettre la déduction d’une perte réalisée par un contribuable en raison stratagème frauduleux, M. Prochuk devait déterminer qu’il était un spéculateur sur titre. Dans l’année où la perte fut réalisée, il n’avait transigé qu’à l’intérieur de son REER ; un nombre total de 507 transactions avaient été réalisés et le REER de M. Prochuk avait détenu les titres pour des périodes allant de quelques heures à plusieurs mois. M. Prochuk invoquait que les transactions réalisées dans son REER devaient être considérées dans l’analyse de son statut de spéculateur.

Dans sa décision, la juge en vient à la conclusion que les transactions de spéculation boursières réalisées dans un REER ou dans un FERR ne mettent pas en cause un revenu d’entreprise. Pour parvenir à cette conclusion, la juge conclut que le REER et le FERR bénéficient d’un régime d’imposition particulier, car les sommes d’argent versé au rentier du REER ou du FERR seront ajoutées à son revenu dans le futur. La politique fiscale inhérente au REER et au FERR serait ainsi différente de celle assujettissant un propriétaire d’entreprise ; les profits réalisés sur les transactions de spéculations seront imposés dans le futur lors du retrait du REER ou du FERR alors que celui qui réalise ses transactions dans un compte n’étant pas enregistré est imposé annuellement. La juge s’en remet alors aux arguments de l’Agence du revenu du Canada et elle détermine que les transactions de M. Prochuk dans son REER ne peuvent être utilisées pour permettre la déduction de la perte sur ses investissements.

Commentaires

De nombreux épargnants se réjouiront de cette décision, car certains craignaient que le fisc s’intéresse à leurs opérations dans leur compte enregistré.

La décision de la juge repose sur le report de l’impôt qu’offrent le REER et le FERR et que les sommes d’argent seront imposées au moment du retrait. Nous constatons qu’il est difficile d’appliquer les motifs de ce jugement au CELI, car, contrairement au REER et au FERR, les sommes extraites du CELI ne seront pas imposables. À notre avis, les transactions de spéculation dans un compte CELI sont toujours imposables dans l’année où elles ont été réalisées, et ce malgré le jugement Prochuk. À cet égard, les dispositions qui édictent l’exemption du revenu d’entreprise dans un REER, dans un FERR et dans un CÉLI ne sont pas rédigées d’une manière identique. Par conséquent, la précédente conclusion serait confirmée voulant que la politique fiscale soit différente pour les transactions réalisées dans un CÉLI et que des transactions de spéculations dans un CÉLI pourraient être assujetties à un impôt à payer.

[1]        ARC, IT-479R – Transactions de valeurs mobilières, 1984 (http://www.cra-arc.gc.ca/F/pub/tp/it479r/it479r-f.html)

[2]        Prochuk v. La Reine, 2014 TCC 17 (Cour canadienne de l’impôt) http://www.canlii.org/en/ca/tcc/doc/2014/2014tcc17/2014tcc17.html